Sunday, November 22, 2009

Réflexions sur une première expérience de jeune médecin par le docteur Hubert Bourreau

Réflexions sur une première expérience de jeune médecin, coopérant du Service National Français en république de Haute Volta, au poste médical de Pô à la frontière du Ghana de Janvier 1965 à Septembre 1965:


J’ai fait partie de la première promotion de trois volontaires pour les postes médicaux de brousse en Haute Volta (Orodara, Diapaga, Pô) en 1965, cinq ans après la proclamation de l’indépendance du pays.  A cette époque, le service de santé voltaïque comportait une quarantaine de médecins militaires français, formés à Bordeaux ou Lyon, ou Marseille, et qui avaient occupé différents postes dans les anciennes colonies françaises en Afrique Noire. Les Médecins « autochtones » étaient une douzaine, occupant des postes ministériels politiques. J’ai rencontré le Dr. Sawadogo, Médecin et le Dr. Fathié Traoré Chirurgien, qui eux exerçaient effectivement la médecine à l’hôpital Yalagdo de Ouagadougou.



Le poste Médical de Pô était abandonné par les médecins militaires depuis environ deux ans. Il était donc dirigé par un Infirmier d’Etat, Mr. Martin Traoré qui venait d’être affecté à Pô. Les infirmiers d’état, formés à Dakar ou à Abidjan, exerçaient en réalité les fonctions de médecin de brousse. L’infirmier d’état dirigeait une équipe de deux infirmiers A.M.A. (Assistant Médical Africain) de niveau aide soignant, formé à Ouagadougou à l’école des infirmiers A.M.A. fondée par le docteur Gouarnisson, père blanc et médecin renommé dans le domaine des grandes endémies, de l’ophtalmologie et de la pédiatrie. Son successeur, également père blanc, s’appelait effectivement le Dr. Blanc, continuait son œuvre et dirigeait l’école privée les Lauriers où était formées sur place les premières promotion d’infirmières diplômées d’état et d’assistantes sociales depuis 1962. Cette école était financée par la CEE (Communauté économique européenne). L’équipe de Pô comportait également deux manoeuvres qui en réalité faisaient les pansements, distribuaient les médicaments, et à l’occasion faisaient des injections; autant dire qu’ils ne faisaient pas le ménage.

L’hôpital de Pô était en fait un vieux dispensaire du temps colonial, situé près de la mission catholique, adapté pour des consultations externes: les consultations, les injections de quinine ou de bipéni, les pansements, se faisaient dans la grande salle commune, dans une totale promiscuité, bruyante et décontractée. La salle d’hospitalisation était vide à mon arrivée. A cette époque, en 1965, il n’y avait pas de pharmacie  en ville à Pô; les fonctionnaires se débrouillaient pour acheminer leurs ordonnances par les voyageurs nombreux sur cette piste reliant Ouaga au Ghana. A Ouaga, il y avait deux pharmacies privées tenues par des pharmaciens français et la pharmacie nationale.

J’ai aménagé un petit réduit réservé au stockage de matériel, en bureau de consultation avec une table d’examen, une chaise et une petite table pour écrire et la présence permanente d’un interprète, habituellement mon chauffeur, de l’ethnie Kasséna et connaissant donc bien la langue, les us et coutumes de la région. Les gardes au dispensaire étaient assurées par un infirmier A.M.A.; curieusement, il n’y avait pas de consultants pendant les gardes; l’habitude était de revenir le lendemain matin à la consultation générale.

A côté de l’hôpital se trouvait la trypano (diminutif de trypanosomiase) vieux dispensaire trypano tenu par un infirmier censé dépistéper chez les voyageurs qui passaient la frontière du Ghana, la maladie du sommeil, la fièvre jaune, la variole, la lèpre et la tuberculose. Il se contentait de tamponner les laisser-passer.



Une maternité était construite près des bâtiments administratifs du commandant de cercle dans les années 50; c’était assez fonctionnel, avec une grande salle commune pour les accouchées, une salle de travail, une grande salle pour les examens des femmes enceintes et un bureau de consultation jouxtant le hall d’entrée, qui servait de salle d’attente. La maternité était dirigée par une infirmière A.M.A. (les infirmières D. E. et les Sages femmes d’Etat formées à Dakar et à Abidjan, étaient affectées dans les grandes villes). Cette Infirmière était aidée de deux infirmières A.M.A. et de deux matrones. Il y avait environ 100 accouchements par mois, approximativement. Les infirmières A.M.A, une fois par mois, faisaient la pesée des nourrissons (embryon de PMI, la Protection Maternelle et Infantile) à Adongo, Songo et Guiaro, avec le véhicule d’évacuation sanitaire ou avec la land rover du médecin.

Quand l’accouchement était impossible, la parturiente était évacuée sur la maternité de Ouaga pour une éventuelle césarienne, en 403 bâchée. Chaque après midi, de 15h à 17h, je faisais des consultations, pour suivre certaines femmes enceintes, des nourrissons malades, pour recevoir des patients fonctionnaires et faire de la médecine administrative (certificats médicaux, arrêt de travail et tenue des statistiques d’activités pour rendre compte chaque mois au ministère de la santé).

Ma fonction de médecin-chef comportait également la visite mensuelle de deux dispensaires de brousse. Le déplacement se faisait avec une land rover neuve de l’UNICEF, conduite par un chauffeur Kasséna. Elle permettait outre l’inspection d’apporter la dotation mensuelle de médicaments; il est intéressant de noter la liste des médicaments: quinimax (contre le paludisme) en injection, nivaquine comprimés, aspirine comprimés, ganidan contre les diarrhées, bipéni (pénicilline injectable) antibiotique contre toutes les infections; et le matériel de pansement (teinture d’iode, et alcool à pansement); quelques bandes de coton hydrophile importé de France (la Haute Volta est productrice de coton). J’apportais également les bons d’essence pour les déplacements des infirmiers et les bons de pétrole pour la stérilisation des seringues et des aiguilles dans les poissonnières symboles emblématiques des premières notions d’asepsie.

Le poste médical de Tiébélé était aussi ancien et démuni que le poste de Pô, avec en plus l’enclavement, dans une région coupée du monde pendant la saison des pluies; les pistes étaient impraticables et souvent coupées par des raviers qui débordaient. Je terminais mes tournées à Ziou où une matrone formée par les accoucheuses du village, officiait dans une case ronde traditionnelle. Son logement de fonction était également une case ronde traditionnelle à côté de la case maternité. Son matériel comportait essentiellement une boîte métallique contenant une paire de ciseaux, et deux pinces pour le cordon ombilical. La dotation comportait quelques comprimés de nivaquine, d’aspirine et du matériel de pansement pour la cicatrice ombilicale.






Une fois par mois, je me rendais également sur la route de Léo, au dispensaire de Guiaro tenu par un vieil infirmier expérimenté colonial. J’étais supervisé par le médecin-chef de secteur, basé à Manga, qui s’occupe des grandes endémies, dans toute la région. C’était un médecin civil, qui faisait de la médecine administrative comme les médecins militaires. Il passait environ une fois par mois pour les statistiques médicales du secteur.


Une autre fonction du médecin était la participation mensuelle à une réunion présidée par le commandant de cercle. Je devais comme tout chef de service administratif, décliner le nombre de consultations, d’accouchements, d’évacuations sanitaires effectuées sur Ouaga, etc. A ce propos, la Peugeot bâchée dont nous disposions comme ambulance, servait à l’évacuation des cas d’accouchements difficiles, d’occlusions intestinales, de hernies inguinales monstrueuses, ou d’autres cas trop longs à énumérer, pour demander l’avis d’un spécialiste de l’hôpital de Ouaga. Le problème était de trouver l’argent de l’essence pour le transport à 150km de Ouaga. En principe, le budget du cercle devait assurer les bons d’essence pour les indigents mais ce même budget pour les évacuations était toujours rapidement épuisé. La famille devait se débrouiller alors pour payer l’essence du transport.

Ce trop rapide tour d’horizon sur mon expérience de jeune médecin à Pô en 1965 m’amène aux conclusions suivantes:

1. Il est scandaleux d’envoyer dans un poste médical de brousse éloigné, un jeune médecin français sans l’avoir formé obligatoirement à la médecine tropicale pendant les six mois prévus dans l’armée française, sans l’avoir informé sur la situation géopolitique de la région. En réalité, les médecins militaires français voulaient dégoûter à tout jamais les médecins civils français qui osaient s’aventurer dans leur chasse gardée, avec tous ses privilèges matériels. C’était un combat d’arrière garde des vieux coloniaux: à partir de 1966, des jeunes médecins voltaïques spécialistes, formés en France sont revenus exercer dans leur pays et occuper à juste titre les postes de chefs de service. Quand je suis revenu en Haute Volta comme médecin civil de 1970 à 1976, la décolonisation médicale était en route, d’abord dans les hôpitaux de Ouaga et de Bobo, puis dans les secteurs de santé rurale en brousse.
2. Les médecins militaires faisaient une médecine administrative et n’avaient plus la pratique fondamentale de tout médecin: être d’abord un soignant.
3. La primauté du ministère de la santé était la lutte contre les grandes endémies: paludisme, tuberculose, onchocercose, dépistage et traitement de la maladie du sommeil, de la lèpre, vaccination contre la fièvre jaune, la variole. La médecine curative de soins n’existait que dans les grandes villes et les chef lieux de cercles. La grande majorité de la population rurale de brousse n’avait pas du tout accès à la médecine de soins, fautes de moyens logistiques, de médicaments, de personnel qualifié.
4. L’administration de cette période post coloniale (1960-1965) avait les travers de la période coloniale:
•    S’occuper d’abord et surtout des fonctionnaires et de leurs familles;
•    Passer beaucoup de temps à faire des rapports et des statistiques qu’on  prenait rarement la peine   d’analyser, et oublier l’essentiel, c’est à dire utiliser le maximum du temps professionnel à améliorer le sort des populations rurales en l’occurrence pour un médecin: d’abord soigner les malades.
5. J’ai heureusement vu et participé ultérieurement entre 1970 et 1976 à de grands changements:
•    Les campagnes de vaccination par le B.C.G; contre la tuberculose, contre la rougeole, le tétanos;
•    La lutte contre les épidémies annuelles de méningite;
•    La construction en 1967-68 d’un hôpital de brousse moderne à Pô, dirigé par un médecin voltaïque;
•    J’ai vu le bitumage de la route reliant la route Ouaga Pô vers le Ghana;
•    La création des centres nutritionnels pour les enfants dénutris à Pô et à Tiébélé.

Je raconterai ultérieurement de façon détaillée cette période des années 60 et 70 vue par un médecin civil français, qui a épousé une des premières infirmières D.E. formées aux Lauriers à Ouagadougou, rencontrée à Pô.



PS par Anne Marie Bourreau Tapsoba, épouse depuis 1968 du docteur Hubert Bourreau:
Après neuf mois de bons et loyaux services, la population de Pô reconnaissante à mon amoureux, pour tous les efforts déployés pour les soigner, l’ont honoré des attributs d’un guerrier kasséna (arc, flèches et carquois, habit brodé). Le jour où il quittait Pô, il a été accompagné jusqu’à la sortie de la ville par de la musique et des danses kasséna.